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La perfide Albion avait codifié depuis
bien longtemps ce sport de ballon joué au pied qu’elle avait baptisé
naturellement « football », puisque la Football Association fut formée en
1863. Les étudiants et marins anglais l’avaient importé assez rapidement
vers la France, le premier club français naissant en 1872, le Havre Athlétic
Club (H.A.C.). Alors, à l’automne 29, sur l’initiative d’une forte
personnalité locale, Eugène RIGOLOT, alors directeur du cours
complémentaire (le C.C., prononcer « cécé »), le foot s’organisa à Marnay.
Arrivé en 1919, E. Rigolot dirigea d’abord les écoles primaires de garçons
installées à l’hôtel de Santans (séparées de celles des filles de
Mademoiselle Alice Parrot) ainsi que la société de gymnastique La
Marnaysienne qui existait depuis 1900 environ. En 22, il rejoignit l’ancien
séminaire à la création du C.C. où il fit régner une discipline
dictatoriale. Les années de guerre devaient révéler sa vraie nature.
Auparavant,
on tapotait certainement le ballon dans les champs, mais Le Petit Comtois,
« journal républicain, démocratique, quotidien », qui ne comportait que
quatre pages (une feuille double) et coûtait vingt centimes, ne
s’intéressait, dans sa chronique de football association, qu’au championnat
de Bourgogne-Franche-Comté où les équipes pratiquaient avec 5 avants, 3
demis, 2 arrières et 1 gardien, système précurseur du WM ; les informations
sur l’arrondissement de Gray se réduisaient le plus souvent à quelques
lignes de l’état civil (Le 19/12/1929, on relève les obsèques de Agapit
Conscience, 60 ans). Ce n’est que le 14/11/29 que l’on déniche, entre une
réclame pour un remède contre la constipation ou l’irritation de la peau et
« le programme des auditions radiotéléphoniques », l’annonce suivante : « La
jeune société de football de Marnay serait heureuse de trouver une équipe de
force moyenne pour un match amical avec retour. Faire offre au capitaine
CHOIX Emmanuel ou au Président Rigolot Eugène ».
On avait
rassemblé les jeunes du canton et quelques pensionnaires du C.C. Le club
s’était doté d’une structure légère avec un président-secrétaire, un
trésorier (René GRANDJEAN), un dirigeant (Roland TRAVAILLOT).
On s’était procuré des maillots rouges et jaunes comme les bas, des shorts
noirs ; le nom de La Marnaysienne avait été conservé ; à la place de
l’actuel collège, un espace de dimensions réduites avait été réservé ; ce
terrain que l’on délimitait à la sciure, équipé uniquement d’une pompe à
bras en fonte, était souvent boueux car on jouait par tous les temps
principalement en hiver et même pour le Jour de l’An. Et on se lançait,
apparemment pas encore dans les compétitions officielles puisque le journal
ne fait mention, jusqu’en 1935, que de rencontres amicales.
Est-ce
l’ouvrier sochalien Lucien Laurent qui marqua en Uruguay en 1930 le 1er
but de l’histoire de la coupe du monde (France bat Mexique 4 buts à 1) ?
Pour traverser l’océan jusqu’en Amérique du Sud, il fallait 15 jours, bon
voyage ! Normalement, les internationaux avaient tous le statut d’amateur,
mais Peugeot, par exemple, leur laissait toute liberté pour s’entraîner.
La 1ère victoire fut acquise, semble-t-il, aux dépens de Gendrey,
et arrosée à l’Asti chez M. Rigolot. Cette équipe eut aussi l’occasion
d’affronter Quingey, Valay, Moncey, les réserves et juniors du R.C.F.C.,
Torpes, Les Petits Gars de la Soirie, Saint-Vit, Seveux, le R.C. Graylois,
La Bousbotte. Avec la réserve, les scolaires retrouvaient même Avrigney,
Chenevrey ou une entente Bonboillon-Tromarey-Venère… Les galoches étaient
solides ! Mais les matches les plus épiques étaient ceux qui opposaient
Marnay à Pesmes car il s’agissait en quelque sorte du combat des
entrepreneurs des sablières : Charles Gauche contre Gaston CHOIX ; on
se souvient de la victoire par 4 à 0 des visiteurs pesmois qui durent payer
cet affront en restant plus d’une heure après le match, retenus par les
gendarmes locaux qui avaient soudain décidé de contrôler minutieusement
leurs véhicules !
A la
reprise de novembre 1931, le club s’appelle l’Union Sportive Marnaysienne (U.S.M.),
mais il subira une éclipse de près de 2 années : il disparaîtra des colonnes
de la presse de mars 1932 à novembre 1933 alors que Pouilley viendra
quelques fois se produire sur son terrain.
Fière
époque tout de même, où l’on jouait pour son plaisir avec un ballon de cuir
qui « pesait cent kilos » quand il était mouillé et qui faisait mal à la
tête si par malheur on le frappait du front sur la ligature, mais qui était
l’objet de soins particuliers lors des séances de gonflage (bien tenir la
bobotte, bien serrer les lacets) ou de lavage et de graissage, et qui
n’était jamais mis au rebut avant d’avoir reçu cinquante rustines sur sa
vessie et d’avoir été réparé autant de fois par le cordonnier (« le bouif »)
Auguste ROY, auxiliaire indispensable du club de foot qui assistait
parfois amusé au ressemelage sur le pied de fer. Il y avait bien sûr
quelques accidents, et le docteur MAILLEY soignait tout le
monde gratuitement (mais on chuchote que le bon docteur ne dédaignait pas de
recevoir en récompense un petit bout de terrain). A Dampierre un jour,
Pierre BARBERET s’était cassé la jambe. Ses copains ne s’étaient pas
embarrassés de délicatesses extrêmes : ils l’avaient chargé dans une auto,
ramené à Marnay et déposé au château devant chez lui comme un paquet, ils
avaient donné trois coups de poing dans la porte pour alerter sa mère, et
s’étaient sauvés comme des voleurs car elle était terrible sa mère, et on en
avait une belle frousse ; c’est que, en ce temps-là, il fallait penser aux
travaux de la ferme avant de s’amuser.
Mais les
gars faisaient « des crânes magnifiques », parfois ils « jouaient
l’obstruction » ou amorçaient de « belles descentes » après que le gardien
avait envoyé « l’ustensile » le plus loin possible ; l’arbitrage de M.
Rigolot ne pouvait être qu’ « excellent » ou « impartial » puisque, de toute
évidence, c’est lui-même qui rédigeait les articles (Robert GALTIER
et Maurice BYOT officièrent aussi quelques fois) ; les supporters
(Georges Paget, François Laurent, Henri Dame…) « applaudissaient les beaux
coups sans regarder la couleur du maillot »…
Ils se
déplaçaient rarement à vélo car tous n’avaient pas le privilège d’en
posséder un. On utilisait le plus souvent la camionnette Chenard et Walker
d’Emile CHOIX, la limousine Avion-Voisin de Gaston Choix qui
avait un gros radiateur avec un splendide bouchon à 2 ailes élancées, ou
même la moto de Maurice JOUFFROY, une 500 Maître fabriquée rue de
Dole à Besançon. Fière époque !
Le
7/11/1933, « la Société reconstituée demande match sur son terrain le 12
novembre avec retour pour le 26 au plus tard. S’adresser à Marcel
POINSARD (tél. 14) ou à M. Rigolot (tél. 29) ». Les divertissements
étaient rares à la campagne, on repartait avec joie contre les équipes déjà
nommées, mais aussi le J.A. de Saint-Claude, Pouilley, C.O.S. Gray, La
Grette, Fraisans et son terrain couvert de graviers, Renaissance, J.S.
Ecole-Pirey (1-1 le 17/3/35)… puis plus rien.
Il ne reste
qu’une photo (1-ER) d’avant-guerre, datant de 1931 (C’est
inscrit sur le ballon tenu par Emile Choix dont la large casquette repose
sur les oreilles). On y reconnaît :
Robert GALTIER
(arbitre), André HEROLD, Maurice BYOT, Eugène RIGOLOT (président),
André BIERRY, Gaston CHOIX, René GRANDJEAN
Jean CRESTO,
René LACOSTE, Henri LANTERNIER
Henri
CHRETIEN, Emile CHOIX, Albert CHOIX

D’autres éléments qui n’y figurent pas auraient aussi joué plus ou moins
longtemps avec l’une ou l’autre des équipes marnaysiennes ;
- plutôt en 1ère :
Pierre BARBERET, Marius CHOIX, Jean DETOUILLON,
Charles GAUCHE, GUTH, René LIEVREMONT, MICHOUX,
MOUREY, André SARRAZIN…
- plutôt en réserve :
BOLEY, CHISSEY, Camille DENISOT, GOUNAND,
GRAMMONT, Maurice LOICHEMOL, Georges MONTANT (gardien),
ROBBE, Henri TRIPONNEY…
Le dimanche 12 mai 1935, Le
Petit Comtois titrait, souligné en rouge sur sept colonnes à une : « Contre
la réaction et le fascisme, républicains, ralliement ! »… Il se passait
quelque chose de grave quelque part dans le monde. |